Il fait froid et j'ai faim !
Quand ils sont arrivés de la grande ville pour passer Noël à la montagne, il faisait – 10° dehors. À l'intérieur ? mieux valait ne pas savoir !
Depuis la mort de la grand-mère, c'est le grand-père qui les reçoit. Il n'aime pas son gendre et il le fait savoir. Il sait qu'ils arriveront aux alentours de 21 h, alors il allume le feu dans la cheminée, met la cocotte à cuire vers 18 h. À 20 h 30, il est au lit et fait semblant de dormir quand la porte s'ouvre. Il a tout loisir d'entendre l'autre râler, pester, menacer. : c'est la dernière année que je passe Noël ici ! Il fait le coup tous les ans. Sylvie, elle, ne dit rien.
Elle tient à ces Noëls dans le chalet où ses grands-parents l'ont élevée. Elle aime son grand-père même si sa solitude le rend un peu revêche. Sa femme est partie depuis plusieurs années mais il ne se fait pas à son départ. C'est tellement injuste ! répète-t-il encore. C'est lui le plus âgé, c'est lui qui devait partir le premier. Depuis, il s'est refermé sur son chagrin, sur le vide immense qu'elle a laissé derrière elle. Il vit dans le passé. Le présent lui pèse. Quant à l'avenir, il a hâte d'aller la rejoindre.
Il y a bien la petite qui le retient un peu. Elle vient de fêter ses trente-deux ans mais c'est toujours la petite. Quand ses parents se sont séparés, elle avait cinq ans. Son fils, le père, est parti travailler à l'étranger, il n'est pas revenu souvent la voir. La mère, elle, a disparu. Ils n'ont rien fait pour la rechercher. Ils ont gardé la petite. Elle mettait tellement de gaîté dans la maison. Ils ont vécu tous les trois de belles années.
Et puis il y a eu les études. L'éloignement pendant l'année scolaire. Le retour pour les vacances. Le bonheur des retrouvailles, bonheur partagé par eux trois. Sylvie était discrète sur la vie qu'elle menait en ville aussi n'ont-ils pas vu venir ce jour où elle leur a présenté Gérard. L'homme de la capitale, l'homme d'un autre milieu qu'eux, le futur gendre. Ils ont eu beau se mettre sur leur trente-et-un pour le recevoir, ils ont bien vu sa réaction. Il y avait trop de différence. Eux, petites gens proches de la nature, lui, intellectuel urbain. Elle avait 27 ans, célibataire. Lui, 35 ans, divorcé avec deux enfants.
Comment fait-elle pour le supporter ? se demande tous les ans le grand-père. Comment s'y prend-elle pour lui imposer ces Noëls dans le chalet ? Pourquoi s'y plie-t-il ? Ce gendre est un mystère. Sylvie est un mystère. Tout devient un mystère pour lui. Quel sens a la vie ? Grave question qu'il se pose de plus en plus souvent.
Cette année-là, surprise ! Grande et belle surprise ! Sylvie annonce qu'elle est enceinte. Enceinte ! a répété, hébété, le grand-père. Je vais être maman ! Maman ! Oh grand-père, tu comprends ce que je te dis.Tu vas être arrière-grand-père ! Il lui a fallu du temps, beaucoup de temps pour réagir, et puis tu entends ça Yvonne, nous allons avoir un arrière petit enfant !Tout va recommencer ! Yvonne, tu te rends compte de la chance … Il n'a pas terminé sa phrase
Grand-père est mort. Mort de bonheur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire